Je viens
EAN13
9782818035412
ISBN
978-2-8180-3541-2
Éditeur
P.O.L.
Date de publication
Collection
Essais
Nombre de pages
464
Dimensions
20,5 x 14,2 x 3,1 cm
Poids
451 g
Langue
français
Langue d'origine
français
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Je viens est un roman comique. Il mouline les sujets qui fâchent, le racisme qui a la vie dure, la vieillesse qui est un naufrage, et les familles que l’on hait. Il illustre une fois de plus les lois ineptes de l’existence et leurs multiples variantes : l’amour n’est pas aimé, le bon sens est la chose du monde la moins partagée, les adultes sont plus immatures que les enfants, les riches se reproduisent entre eux et prospèrent sur le dos des pauvres, etc. Il vérifie aussi la grande leçon baudelairienne, à savoir que le monde ne marche que sur le malentendu. Charonne, personnage récurrent des romans d’Emmanuelle Bayamack-Tam et narratrice de la première partie est précisément celle qui vient chambouler cet ordre des choses – qui est aussi un crime contre l’humanité. Abandonnée deux fois (par ses parents biologiques puis par ses parents adoptifs), grosse, noire (ou perçue comme telle), Charonne est mal partie dans la vie mais elle va imposer sa vitalité irrépressible et la force agissante de son amour – quand bien même cet amour n’est ni reconnu ni apprécié (cf. les lois ineptes de l’existence). Mais pour accablante qu’elle soit, la réalité devrait pouvoir s’écrire sans acrimonie, dans une langue qui serait celle de la farce ou du vaudeville – avec lequel cette histoire a beaucoup à voir.
Je viens est un roman fétichiste, investi par les objets, ceux que l’on achète, collectionne, inventorie, transmet. Ce livre est une maison, Bleak House dickensienne dans laquelle chaque narratrice (elles sont trois) s’aménage une chambre à soi. Certains éléments décoratifs ont été chinés virtuellement (l’ottomane, les papiers peints vintage…), d’autres encore appartiennent à l’espace du dedans, souvenirs fabriqués, malentendus et haines tenaces, tout aussi concrets que les autres. Les personnages finissent eux aussi par être gagnés par la matière, se réifier et se figer comme si la maison tenait les habitants sous ses sortilèges : l’enfant est un objet que l’on ramène en boutique parce qu’il ne fait pas l’affaire ; la grand-mère se vitrifie sous son maquillage d’un autre âge, ses laques et ses parfums.
Je viens est une histoire de fantômes, trois morts que la maison cantonne dans une pièce embrumée de fumerolles bleues. Pythonisses incertaines de leurs oracles, détenteurs d’une sagesse qui peine à s’exprimer, ils n’en vaticinent pas moins à l’intention de Charonne, Nelly et Gladys. Ils sont le contrepoint mystérieux et poétique de ce récit si prosaïque, la promesse que la vie ne tient pas toute entière dans l’accumulation des biens matériels, si jouissive que soit cette possession. Le récit rend compte de cette jouissance, mais il dit aussi qu’un message viendra de la mer, un message qui sera à la fois enfance de l’art et déploiement de la magie.
Je viens est fait d’autres livres. C’était déjà le cas des précédents romans d’Emmanuelle Bayamack-Tam, mais elle semble avoir décidé de systématiser et surtout d’exhiber le procédé. Je viens s’est donc écrit depuis cette expérience de la sidération que constituent les premières lectures, sidération qui tient autant à l’histoire racontée qu’à la matérialité du livre, sa couverture et ses illustrations. De fait le livre de contes fait ici partie de ces objets que les personnages se transmettent. La Belle-au-bois-dormant, La Chèvre de M. Seguin, Petrouchka, Les Musiciens de Brême, La Reine des neiges, traversent et trament le récit, passant d’une partie à l’autre et se chargeant de significations personnelles et parfois dérangeantes. Pour Charonne les contes participent aux sortilèges de la maison et la font vivre sous une sorte de dôme, snowglobe enchanté dont il s’agira de sortir pour aller à la rencontre de la ville sans nom, c’est-à-dire Marseille.
Enfin, Je viens est un triple portrait de femmes. Une fille, sa grand-mère et sa mère y prennent successivement la parole. Les trois récits se recoupent parfois, sans qu’il y ait de redite, ni même de véritable concordance. On frôle parfois la contradiction, car comme le dit Charonne (la fille), « on n’est jamais si bien dupé que par soi-même », ce qui fait que chacun vit dans sa petite vérité intime et invérifiable.
Nelly (la grand-mère) raconte sa vie in extremis, entre ressassement et déploration. Sa mémoire flanche et sa voix se brise à trop buter sur « ce qu’on devient ».
Parce qu’elle cherche à justifier son incapacité à vivre, Gladys (la mère) produit quant à elle un discours vindicatif et furibond qui tient souvent du délire. Elle est sans doute le personnage le plus ingrat du récit.
Charonne est celle qui vient. Si les connotations érotiques de ce verbe existent, ce n’est pas ce qui intéresse l’auteur. « Je viens », c’est la proclamation, par Charonne et à la suite de Michaux (« Agir, je viens »), de sa volonté de redresser les torts, de parler contre les lois ineptes, de faire passer sur la maison borgne comme un souffle de bienveillance qui en dissiperait la léthargie et les aigreurs. Charonne est une missionnaire, comme le sont souvent les personnages d’Emmanuelle Bayamack-Tam, et elle la lance dans une geste héroïque, à l’assaut du racisme ordinaire, de la négligence parentale et de la dépression sénile, pour ne citer que quelques-uns de ses adversaires identifiables. « Où était éparpillement, est soudure, où était infection, est sang nouveau, où étaient les verrous est l’océan ouvert… ».
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Commentaires des lecteurs

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