Pour ne pas oublier la politique dévastatrice américaine à l'encontre des amérindiens, Louise Erdrich livre ici un roman magistral. Elle y met en lumière ce que l'on appelle la "termination", cette politique visant à "assimiler" les Indiens. En fait à les spolier encore davantage sans leur laisser le choix...
Le personnage central, Thomas Wazhashk est directement inspiré de la vie de son grand-père maternel, président du conseil tribal d'alors, qui mena une lutte acharnée contre ces dispositions iniques.
Pour le reste, les personnages relèvent de l’imaginaire de l’auteure.
On retiendra l'autre figure emblématique imaginaire cette fois, celle de Patrice Paranteau, seule femme de sa famille à exercer un métier de "blanc" et à subvenir à leurs besoins. Déterminée et d'une force de caractère sans égale, elle rejoindra Thomas dans sa lutte.
Et puis sans oublier tous les autres protagonistes de cette fresque puissante, qui n’auront de cesse de s'imposer, chacun à leur manière.
D'une écriture précise et fluide, Louise Erdrich nous entraîne dans une lecture captivante et ô combien édifiante.
Tant que le café est encore chaud
Roman
De Toshikazu Kawaguchi
Traduit par Miyako Slocombe
Albin Michel
Carpe diem !
Une curieuse légende urbaine circule dans ce petit café au nom étrange, le Funiculi funicula niché dans une petite rue calme de Tokyo. Il est possible, en suivant strictement les règles, de faire un bon dans le passé, à une époque précise pour un temps donné. Nagare et Kei, les propriétaires de cette gargote, en sont les garants. Quatre femmes vont être ainsi tentées par cette expérience, dans l’espoir de panser leurs maux. Mais attention, ce voyage dans le passé ne pourra en rien influer sur le cours des choses…ce qui est écrit arrivera quoiqu’il en soit.
Au-delà du fantastique, ce conte émeut par la justesse du ton, de ces femmes prêtes à tout pour tenter de rattraper des rendez-vous manquées ou tout simplement revivre des moments qui ne seront plus...On notera la chute, bien habile et assez bouleversante, la boucle est bouclée.
Une lecture mémorielle
Années 60, Siméon, un Noir américain, fuit les États-Unis en proie à un racisme violent. Il vient se réfugier à Paris, dans le quartier de Saint- Germain-des-Prés, haut lieu de la vie intellectuelle et bohème. C’est foisonnant, et Siméon s’y plaît déjà. Jusqu’au jour où il se trouve confronté au racisme envers les Algériens alors que la guerre d’Algérie fait rage.
Et là, la bascule. Il prend soudainement conscience des ravages de celle-ci et de ce racisme patent et assumé. Même au sein de la diaspora américaine qu'il côtoie, la plupart préfère vivre dans le déni ou l'indifférence, car ils ont trop souffert de la discrimination. Ils veulent enfin vivre, et goûter à une insouciance dont ils ont toujours été privés.
C'est ce hiatus qui est bien rendu. Ce mouvement de balancier perpétuel dans lequel Simeon tâche de trouver une place. La rencontre avec Ahmed, son alter ego, sera alors décisive. Le doute n'est plus, il prendra fait et cause pour les opprimés.
Ce roman est très intéressant. Il met en évidence les injustices, les persécutions et les crimes commis en toute impunité (dont le terrible 17 octobre 1961), et traite avec justesse du racisme dans son acception la plus large, sans jamais tomber dans les raccourcis faciles.
Une dystopie terriblement addictive !
Partant de la dystopie, la fuite pour survivre tant bien que mal dans un univers tout aussi hostile, Diane Cook embarque le lecteur dans une histoire à visée universelle.
Les liens familiaux survivent-ils à tant de contraintes ? L'instinct de survie supplante t'il toute humanité ? L'humain est-il encore capable de se coltiner avec la nature ?
L'auteure dépeint très bien les relations humaines dans un cadre contraint. Les rapports de force, le besoin irrépressible de tout régenter, le chacun pour soi qui finit par prédominer, la dureté des sentiments pour endiguer la peur.
Et puis ce fil rouge, le lien « à la vie à la mort » d'une mère et de sa fille. Tout aussi féroces chacune dans leur genre, le lecteur est suspendu à leurs réactions tant elles sont imprévisibles...Au fil des pages, la tension monte à tel point qu'il devient impossible de lâcher le livre !
Une maison désirée, voulue, rêvée qui se transforme peu à peu en une maison honnie, et le symbole de souffrances indignes. Carmen Maria Machado raconte son histoire. Celle d’une femme éperdument amoureuse d’une autre femme, tout aussi aimante jusqu’au jour où cette dernière devient mauvaise, avec tout ce que ça charrie comme sentiments vils et nauséabonds. Jalousie, violence physique et verbale, cruauté…
Pour en parler, l’auteure convoque avec grande maîtrise différents genres littéraires, du fantastique au « livre dont je suis le héros », elle joue avec les codes pour restituer cette relation perverse, dont la narratrice peine à s’extirper, tant l’emprise est insidieuse et perverse.
Par ce procédé, Carmen Maria Machado livre là un témoignage fort, saisissant, et qui fera date.