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9 mai 2011

La crise financière, morose... mais pas que !

Comment croire que la crise financière dans laquelle les Etats-Unis ont sombré avant qu'elle n'atteigne l'Europe aurait pu faire un bon sujet de fiction ? Mieux, qu'on en rie ?

Pourtant, ça marche, et pas qu'un peu !

Le style de Jess Walter peut surprendre, d'emblée : le rythme, soutenu, enlevé, traduit l'état de stress dans lequel Matt baigne en permanence. On a l'impression de devoir mener sa course contre la montre, avant la saisie éventuelle de sa maison qui le laisserait sans-abri, lui et sa famille. La situation de Matt n'a rien d'enviable : un père sénile à charge, deux enfants aux antipodes l'un de l'autre, une femme qui s'éloigne peu à peu et un mariage qui prend l'eau, voilà la partie émergée de l'iceberg que viennent compléter les dettes incommensurables du couple.

Que sauver ? Tout cela vaut-il la peine de se battre ? Loin de s'apitoyer sur son sort, Matt pose un regard franc sur les erreurs qu'il a commises, celle de quitter son travail étant la pire de toutes. D'ailleurs, ce regard a parfois de quoi surprendre : Matt ne se leurre pas sur la vie que mèneront ses deux garçons plus tard, et par extension tous les gamins de cette génération : il n'hésite pas à les imaginer en train de fumer quelques pétards, à leur tour... Etonnant !

Ce sujet ne vient pas au hasard dans la bouche de Matt : sorti un soir à la supérette du quartier, il croise la route de deux drogués un peu paumés, et surtout perchés dans leur bulle enfumée... Par un concours de circonstances, et aussi sûrement un peu par dépit, Matt les suit et s'embarque dans une histoire de trafic de drogue sans comprendre qu'il se lance là dans des actes totalement illégaux. Matt remarque d'ailleurs, avec son oeil de journaliste observateur, que l'ensemble des dealers et consommateurs à l'époque actuelle ont tous des looks de gendre idéal...

La Vie financière des poètes est l'occasion, par le prisme de la crise financière de la fin des années 2000, de mettre le nez dans les défauts d'une société qui a causé sa propre perte sans se rendre compte de la mauvaise pente qu'elle suivait. Mais on sourit, on rit en voyant nos propres torts se dessiner dans la vie de Matt... et on se plaira à suivre un dénouement qui ne sera que justice, avec une touche d'espoir en bonus !

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15 mars 2011

Avant de lire cet ouvrage, je ne connaissais de Zoroastre que son nom avestique, Zarathoustra, sous lequel le désigne Nietzsche dans son poème philosophique Ainsi Parlait Zarathoustra... que je n'ai jamais lu d'ailleurs. Ayant entrepris tant bien que mal au cours de ces dernières années d'améliorer les fondements de ma culture religieuse, je me suis penchée avec grand intérêt sur ce livre sacré qui m'était encore entièrement inconnu.


Pour (essayer de) dire les choses simplement, le zoroastrisme est une religion monothéiste née du mazdéisme, religion polythéiste proche du brahmanisme, mais qui ne célèbre qu'un dieu unique, Ahura Mazda, le Roi de la Sagesse. Le zoroastrisme, né entre le premier millénaire et 500 avant J.C, est la religion des anciens Iraniens et des Perses à l'époque sassanide (du IIème siècle au VIIème siècle après J.C., période qui marque l'âge d'or de l'Empire Perse).

C'est le libre arbitre qui se trouve au coeur de la doctrine de Zoroastre, le prophète mal connu qui aurait été inspiré par Ahura Mazda pour aller convertir la cour du roi où les prêtres se livraient à la magie. Le zoroastrisme prévoit une réaction à chacune des actions humaines ; la bonté serait donc inhérente aux hommes qui obtiennent des bienfaits pour avoir été bons. Zoroastre est aussi bien l'un des personnages du récit que l'auteur présumé des textes les plus anciens.

Dès l'introduction, Eric Pirart, qui traduit ici les Yast (des hymnes sacrificiels en l'honneur des dieux (oui, car le zoroastrisme conserve un panthéon de dieux et de déesses tout en condamnant les rituels traditionnels), annonce le ton des textes qu'il nous présente : il s'agit de litanies dont le ton sec et insolite peut dérouter le lecteur moderne. Voltaire n'y voyait qu'un "abominable fatras" ! Jean Kellens, lui aussi éminent spécialiste du persan ancien, explique dans la préface que "L'Avesta est une oeuvre littéraire très ancienne, issue d'un passé qu'aucun autre vestige ne documente sûrement, élaborée par des hommes qui ne s'adressent pas à nous et dont l'intention créatrice nous est étrangère" : j'aime cette impression de me voir offrir ces textes lointains et obscurs, comme un secret mystique révélé !

Les Yast s'adressent donc aux divinités, fils et filles d'Ahura Mazda : on les nomme les Adorables. Les Adorables se divisent en deux groupes, ceux qui sont visibles et ceux qui ne le sont pas : on y croise l'Eau, "Molle Opulence Inaltérable" (avouez que l'épithète a de quoi faire pâlir Homère !), le Dieu Lune, la déesse Chevaux-fixes, le Moi de la Vache, le Pouvoir de briser les obstacles... Voilà qui pourrait nous laisser perplexes : heureusement, chacun des Sacrifices est précédé d'une présentation du traducteur qui nous permet de comprendre un peu mieux de quoi il retourne. Par exemple, la déesse Chevaux-fixes vient probablement de l'Etoile polaire, divinité des cieux dont le char est visible dans une constellation immobile. Voilà qui prête à rêver !

Pour ne pas nous y perdre, l'ouvrage se termine par un glossaire, absolument indispensable !

La démarche d'Eric Pirart est absolument admirable : le travail abattu semble monstrueux et il réactualise brillamment, même selon mon avis peu éclairé pourtant sur le sujet, une traduction qui ne fut révélée aux Français qu'au XVIIIème siècle !

Les Presses de la Cité

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28 janvier 2011

Jonathan Stride, policier cinquantenaire, voit surgir cinq ans après le décès de son épouse des traces du temps de leur adolescence : revenue à Duluth, Tish, une camarade de lycée devenue journaliste, l'invite à se pencher à nouveau sur une affaire de meurtre irrésolue survenue en 77, l'année de leurs dix-huit ans.

Cet été-là, alors que Brian et Cindy se préparaient à leur première fois ensemble, la soeur de Cindy, Laura, se faisait assassiner sauvagement sur une plage voisine. Le coupable, un vagabond de passage, désigné d'office, quitte la ville brusquement. L'affaire s'arrête là, faute de mieux... Trente ans plus tard, Jonathan découvre de nouvelles preuves qui le laissent penser que son épouse lui cachait de sombres secrets.

Voilà un page turner redoutable ; rien de bien original, loin de là, dans l'intrigue ou son traitement, pourtant. Dès le départ, j'ai même pensé que l'auteur faisait un peu trop dans le mélo pour la psychologie de ses personnages : Jonathan a perdu son épouse d'un cancer, et son père d'un accident lorsqu'il avait quinze ans ; sa nouvelle compagne a perdu son premier mari, assassiné ; la mère de Tish a été tuée lors d'une prise d'otage ; la mère de Cindy et Laura était décédée trop tôt elle aussi... Aucun personnage ne semble épargné d'un drame personnel à partir duquel il s'est construit : on touche à la caricature du thriller.

Même l'intrigue reposant sur le voyeur qui sévit de nos jours parait au départ un peu fine : elle se corse et s'améliore lorsque la jeune Mary, handicapée mentale, fait son entrée. L'ensemble des passages la concernant, notamment les derniers, ainsi que ceux de ses parents, sont touchants et plus persuasifs que les autres.

Il est intéressant de constater que l'ouvrage alterne entre un récit à la troisième personne, qui se centre aussi bien sur Stride que ses partenaires ou les parents de Mary, et des passages pris en charge par Tish, qui écrit un roman sur le drame de son amie Laura. Ces passages, qui apparaissent au départ d'une utilité discutable, révèlent leur importance au fur et à mesure que son récit avance.

Comme je le disais d'emblée, malgré ces remarques, ce fut une lecture plaisante et rythmée : si je craignais au départ un ensemble un peu mou, à l'image des mauvais Higgins Clark, je suis revenue sur mon opinion en avançant dans le livre et ai même, je le confesse, écrasé une larme au moment de l'épilogue. Nul doute que Brian Freeman, sans avoir réinventé les codes du genre, se réserve un succès probable avec un livre efficace !

Dictionnaire des passions

Stock

32,00
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16 décembre 2010

"Ton cinéma est la saturation de signes magnifiques qui baignent dans la lumière de leur manque d'explication", Manoel de Oliveira...

Godard est un cinéaste que je connais encore fort peu. Ce Dictionnaire des Passions, récemment édité chez Stock, propose de passer en revue les mots, les concepts, les influences, les grands thèmes des oeuvres et de la filmographie de Godard, strictement liée ici à sa biographie.
L'abécédaire, depuis A, lettre emblématique des prénoms des heroïnes de Godard, jusqu'à Z pour Zoetrope, les studios de Coppola, dépeind de manière très complète ce que l'on sait ou découvre à propos du cinéaste. Dès le A, j'en apprenais déjà beaucoup : A comme l'accident terrible de moto dont il a été victime en 1971, A comme acteurs, avec qui il se montre exécrable. Pauvre, pauvre Mireille Darc !
Les articles qui m'ont le plus intéressée sont ceux qui concernent les grands qui ont influencé Godard, et le panel est large : Aragon, Marguerite Duras, Hitchcock... et tant d'autres ! Il l'avoue lui-même dans une citation reprise à l'article bien nommé Citations : "Une phrase sur deux n'est pas de moi".
Un article m'a étonnée : on trouve rapidement dans l'ouvrage, à la lettre B, l'article... Biographie ! C'était bien le seul élément que je pensais ne pas y trouver, croyant découvrir Godard à travers le prisme de l'alphabet seulement. Biographie, c'est un peu facile...
L'ouvrage n'oublie pas de saluer les grands collaborateurs et assistants de Godard et d'appuyer sur le rôle déterminant des actrices qu'a aimées le réalisateur.
Et comment croire que Godard ne fut jamais récompensé au festival de Cannes ? Bien des a priori ou manques sont résolus par ce dictionnaire, qui réjouira davantage, selon moi, les aficionados de Godard que ceux qui, comme moi, ne sont pas des spécialistes.