Un roman afrofuturiste qui bouleverse les codes de la SF
A bord d'un vaisseau spatial voguant vers une hypothétique Terre Promise, les rescapés de notre civilisation s'efforcent de survivre tant bien que mal dans une société ségrégationniste rappelant l'apartheid.
Jusqu'au jour où l'ordre social, racial et patriarcal du vaisseau-prison va être menacé par Aster, jeune femme intersexe, botaniste autodidacte à l'esprit rebelle et indomptable propre à transgresser normes et interdits quoi qu'il lui en coûte...
Entre l'univers de 12 Years a Slave (de Steve McQueen) et de Transperceneige (Jean-Marc Rochette et Jacques Lob), Rivers Solomon nous livre un roman de SF engagé où la transposition dans le futur d'une société esclavagiste vient ré-interroger les mécanismes d'oppression qui assignent un sexe à un genre et une race à une classe sociale.
Au delà de l'arrière-plan politique qui nourrit le récit sans l'alourdir, la réussite du roman tient à la caractérisation des personnages qui sortent des archétypes habituels et dont les failles et les ambivalences leur confèrent une épaisseur à la hauteur de la complexité des relations humaines.
Dans la lignée d'Octavia Bulter et d'Ursula Le Guin, voici une oeuvre de SF importante qui ouvre d'autres possibles à partir des marges.
Intelligence artificielle et intrigue amoureuse
"Je crois que les Adam et les Eve étaient mal équipés pour comprendre les décisions prises par les humains. [...] Comment avons-nous pu nous attendre à ce qu'ils soient heureux parmi nous?"
Londres, 1982. Charlie fait l'acquisition du bien-nommé (vraiment?) Adam, l'un des 25 humains artificiels, mis sur le marché grâce aux avancées en matière d'intelligence artificielle. Les choses se compliquent lorsque le robot androïde tombe amoureux de Miranda, compagne de Charlie...
Dans la lignée du livre culte de Philip K. Dick "Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?" et de son adaptation cinématographique "Blade Runner"par Ridley Scott, McEwan s'empare du thème des robots intelligents et sensibles pour les faire entrer dans la vie de tous les jours d'une Angleterre tchatchérienne que l'on pensait familière...
Avec son habituel talent, McEwan livre ses personnages en proie à des dilemmes éthiques qui interrogent les frontières entre l'humain et l'inanimé, le biologique et le numérique, les petites compromissions humaines et les grands principes moraux codés dans les circuits imprimés des robots.
Un roman qui ravira les amateurs du film de Spike Jonze, "Her".
C'est comme ça que je disparais de Mirion Malle (La Ville Brûle, Janvier 2020)
Dans son nouveau roman graphique, Mirion Malle nous plonge dans la vie de Clara, attachée de presse et autrice, qui se démène tant bien que mal avec une dépression.
Avec habilleté, humour et sensibilité, l'histoire retrace les errances (avec la psy), les questionnements (prendre des médicaments?), les crises de panique, les envies de se cacher, les nuits à pleurer pour tout et pour rien, l'incompréhension de l'entourage.
Par son travail sur le détail, le coup de crayon révèle l'abîme, le vide intérieur, le gouffre sans fond, l'épuisement tant physique que mental. Et la difficulté de faire illusion et sourire lorsqu'on n'a qu'une envie: pleurer à en mourir.
Une fiction intimiste très juste où la dépression est un prix bien fort à payer avant de renaître à la vie.
A lire côté essai, Chaque dépression a un sens de Johann Hari où le journaliste, ayant lui-même souffert d'une dépression, examine sous un regard sociétal les causes d'un des fléaux de notre temps.
Alea jacta est
Votre vie est d'un ennui mortel et vous vous demandez si vous avez fait les bons choix pour en arriver là...
Grâce au Dr Rhinehart, votre Dé-rapeute, finies les délibérations stériles; prenez enfin de vraies dé-cisions. Votre dé-stiné se joue désormais sur un lancer de dés.
Délicieusement amoral et provocant, ce roman aux allures faussement autobiographiques nous plonge dans l'univers d'un Woody Allen aux accents sadiens.
Une fois dévoré, à reposer sur l'étagère, aux côtés d'American Psycho de Bret Easton Ellis ou d'Orange Mécanique d'Anthony Burgess.
Il est l'heure de passer à table, cher Hannibal Lecte(u)r...
Une fiction spéculative atrocement réussie où l'acte fondateur d'une civilisation - manger - repose sur de la pure barbarie.
Aux côtés du personnage principal, employé dans un abattoir, nous remontons toute la chaîne de ce nouveau commerce de la chair, puisqu'à l'heure de l'immondialisation, le cannibalisme désormais normalisé à coup de supercheries linguistiques, promet de juteux profits...
L'expression "l'exploitation de l'homme par l'homme" prend ici tout son sens. De quoi faire tomber quelques certitudes sur les privilèges que l'homme s'octroie à disposer des autres espèces tout comme de la sienne d'ailleurs... "Tous les animaux sont égaux, mais il y en a qui le sont plus que d'autres", écrivait déjà Orwell.
A relire côté fiction, La Ferme des Animaux de George Orwell et côté philosophie, La Libération Animale de Peter Singer. Vous voilà servi.