Gilda F.

Conseillé par (Libraire)
5 août 2014

Pierre a passé vingt ans de sa vie au Moyen-Orient, y sauve la vie d'un journaliste et rapatrié en urgence en même temps que cet homme se voit proposer un travail par son journal : aller enquêter sur les raisons qui poussent les habitants d'un petit village de l'est de la France à voter pour l'extrême droite avec une majorité écrasante.

La question restera sans réponse autre que diffuse dans la vie quotidienne de certains des habitants que Pierre, escorté pour l'expédition d'un preneur de sons aveugle, apprendra à connaître.

Roman choral qui saisit tour à tour la façon d'être au monde de chacun des principaux protagonistes, ce que l'existence fait d'eux, car, dans le fond, même en partant on choisit peu. Ne serait-ce pas l'absence de réelles perspectives, l'écrasement par le travail ou pire, son absence, qui conduit les présents dans un lieu depuis longtemps à chercher dans le migrant un bouc émissaire ? Y compris si celui-ci n'est pas vraiment présent, pas sur place déjà, pas directement.

La force de la narration tient dans celle des personnages, l'entrecroisement des liens, la consistance du réel - que paradoxalement contribue à consolider l'apparition sur certains chapitre d'un choeur semblable aux choeurs antiques, et des adresses à l'auteur, partie prenante du récit -.

C'est un livre prenant - à condition d'être bon lecteur - et qui donne à penser. Une lecture qu'on est contents d'avoir fait. Seule frustration : le roman n'est pas appelé à avoir de suite, or certains des personnages donnent envie d'être retrouvés.

Le titre est issu d'une citation de Rimbaud, en épigraphe du roman (en dire plus serait en dire trop)

Anne-Marie Métailié

19,00
Conseillé par (Libraire)
5 août 2014

Après "Le dernier lapon" c'est un grand plaisir que de retrouver Nina Nansen et Klemet Nango de la police des rennes. Bien sûr le petit bonheur de l'absolue découverte est passé. Il laisse place à celui des retrouvailles, de faire plus ample connaissance et que les relations entre les équipiers et d'autres protagonistes se complexifient.

Un éleveur meurt lors d'un passage délicat de la transhumance, le maire de la ville d'Hammerfest subit le même sort non loin et peu après. A mesure que l'enquête avance se pose la question de l'intention ou l'accident. Le fond de l'ambiance étant les luttes d'influence entre éleveurs et compagnies de pétrole et les plongeurs qu'elles emploient. Ceux qui souhaitent que les rennes puissent continuer à migrer selon les pâturages et les saisons. Ceux qui trouvent qu'ils encombrent et empêchent l'économie locale de se développer comme elle devrait. Les positions des uns et des autres se radicalisent lorsqu'il est question de déplacer un rocher sacré qui recueille toujours des offrandes de la part de certains Sami qui même s'ils n'ont plus exactement leurs ancestrales croyances souhaitent respecter certains rituels que leurs aînés leur ont transmis.

Au passage on rencontre des plongeurs, dont Nils Sormi et son binôme Tom Paulsen, de ces hommes qui sont prêts, à force de risques pris en commun et d'avoir leur existence qui souvent dépend des réflexes du collègue, à mourir pour sauver l'autre. On apprend sur l'historique des explorations pétrolifères en mer du Nord et de Barents ; les conditions d'expérimentations des années pionnières et leurs séquelles sur les hommes.

Nina recherchera son père, pour des raisons liées à l'enquête (il fut plongeur en son temps) mais qui la feront grandir - et offrent pour le lecteur les plus belles pages du roman -. Il sera question de l'intransigeance dans laquelle certaines convictions religieuses extrêmes peuvent plonger les gens. D'un orgue magnifique. De photos coquines prises par un vieil oncle (1) et sa compagne chinoise. De cafés qu'on ne peut fréquenter que si on en connaît l'entrée et des dangers des caissons hyperbares planqués dans les flotels.

Et puis surtout il y a la lumière. Qui n'en finit plus - chaque chapitre débute par les heures de lever et coucher de soleil et durées d'ensoleillement. Nina et Klemet sont déjà pour le lecteur comme de vieux amis. On peut espérer être à l'orée d'une longue série de romans.

PS : La lecture est néanmoins tout à fait possible si l'on n'a pas déjà fait leur connaissance. Le roman pour ça est très bien construit et peut donner envie de lire "Le dernier lapon", première enquête des deux policiers sans plus tarder.

(1) Nils-Ante, oncle de Klemet, toujours aussi truculent.

(2) L'opus précédent nous plaçait au contraire dans la nuit polaire.

Conseillé par (Libraire)
29 juillet 2014

Pour tous, sans hésiter

August est un petit gars tout à fait normal dans sa tête, voire plutôt plus intelligent que la moyenne des gens, seulement il est affublé d'une malformation de naissance qui rend son visage difforme, malgré plusieurs opérations de réparation.

Wonder nous le fait rencontrer lors de son entrée au collège, alors que jusqu'à présent il étudiait à la maison, à l'abri des regards. Ses parents ont hésité, prêts à changer d'avis s'il se trouve confronté à de trop violentes difficultés. Le garçon est réticent, puis il prend confiance grâce à quelques amitiés. Seulement rien n'est jamais aussi simple qu'il n'y paraît.

A petites touches et par la voix de chacun des principaux protagonistes, y compris ceux qui n'ont pas de quoi être fiers de ce qu'ils ont fait, R.J. Palacio nous offre une histoire émouvante mais juste, sans pathos inutile. Si on a eu la chance de n'y être pas confronté dans sa propre vie, on ne considèrera plus les handicaps de la même façon après avoir lu ce roman. Il est accessible dès le collège ou pour les très bons lecteurs un peu avant. N'est pas à dédaigner adulte.

On voit aussi la vie quotidienne (de nos jours aux Etats Unis), ceux des tracas qui touchent aussi bien qui a un grave problème de qui n'en a pas. L'impact sur une fratrie de la grave maladie d'un de ses membres est très bien saisi. Ainsi Olivia, la soeur ainée d'August, exemplaire et si habituée à ne pas se soucier d'elle-même ni qu'on se soucie d'elle (elle est celle qui va bien) malgré tout l'amour qu'elle porte à son petit frère a envie devenue lycéenne de vivre pour elle-même et n'être pas seulement "la soeur de".

Ce n'est pas du tout une lecture triste, August a de l'humour à revendre et bien souvent on rit en plus d'être bouleversés. Puis on réfléchit.

Pour tous, sans hésiter.


Marie Desplechin

École des Loisirs

Conseillé par (Libraire)
29 juillet 2014

C'est un roman qui fait du bien, écrit pour les enfants de 9 à 12 ans mais qui convient également aux adultes sensibles que peine cet air du temps favorable à la haine de l'Autre et qui sévit sur l'Europe depuis un moment.

On retrouve la petite Verte et sa grande amie Pome, héroïnes des romans éponymes. Elles se heurtent cette fois au rejet de leurs camarades de collèges depuis qu'une nouvelle venue, Mauve et son père ont commencé à faire courir sur la mère de Pome, par ricochet sur sa fille, toutes sortes d'insinuations détestables, au motif qu'"elles ne sont pas comme nous". Les filles tentent tout d'abord de se sortir par elles-mêmes de ce qu'elles perçoivent comme des embrouilles collégiennes. Mais le grand-père de Verte, plus attentif qu'il n'y paraît, intervient. Puis sa mère et quelques autres adultes secourables.

Le ton se veut allègre, le fond du propos l'est moins, on passe de toutes façons un excellent moment. Dans la veine de Verte, certaines scènes sont jubilatoires. On sent seulement des temps moins insouciants.

Bel hymne à l'amitié, à la tolérance et à l'acceptation des différences. La mécanique humaine d'entrainement vers le rejet est parfaitement rendue. C'est un livre qu'il serait nécessaire de faire lire en classe, qui peut contribuer à ouvrir les yeux sur la bêtise qui consiste à désigner certains comme boucs émissaires. Il peut aussi apprendre aux enfants que dans la difficulté certains adultes sont des alliés et que confier ses problèmes n'est pas une mauvaise idée.

On peut le lire sans connaître les deux opus précédents. Simplement lorsque l'on connaît déjà Pome, et Verte, le plaisir est plus grand.

Conseillé par (Libraire)
27 juin 2014

S'il restait des lecteurs à convaincre que les nouvelles n'étaient pas un genre mineur mais pouvaient être un régal littéraire, ce recueil de textes d'Agnès Desarthe, joint à celui à peine moins récent de Claude Pujade Renaud (1), suffirait.

Toutes sont ciselées d'humour sensible, parfois féroce, jamais sans tendresse, on sourit souvent et je défie quiconque parmi les lectrices au coeur tendre de ne pas avoir les larmes aux yeux lors du dénouement d' "Il ne se passe jamais rien ici" ou de la rencontre ferroviaire du narrateur pourtant peu sympathique de "Pseudonyme" (que pour son début tous les apprentis-écrivains devraient lire tant pour ses qualités intrinsèques d'écriture que pour les prévenir de ce qui les attend - et encore dans le meilleur des cas, celui d'un premier succès -).

Certaines situations sont plutôt tristes mais il y a quelque chose de diablement tonique dans la façon qu'Agnès Desarthe a de les relater. Toutes partent d'éléments quotidiens qu'elles transcendent.

Celle qui clôt le recueil fera sourire bien des femmes. Laquelle d'entre nous ne s'est jamais trouvé prise au piège sentimental dans lequel tombe la narratrice ? C'est son titre qui donne le sien au recueil, on n'aurait su mieux trouver.

(1) "Rire en do mineur" chez Actes Sud

nb. : pour les fin(e)s lecteurs/trices du travail d'Agnès Desarthe, il convient de préciser que certaines des nouvelles avaient déjà fait l'objet de publications préalables dans différentes revues et que la nouvelle "Tonton Achille" avait été conçue dans le cadre des rencontres au Louvre "Un petit pan de mur jaune" (les auteurs choisissaient une oeuvre exposée au musée et écrivaient à partir d'elle, puis la lisaient in situ)