Le kiosquier avant le Goncourt
Avec Jean Rouaud
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Il y a des adjectifs qu’on hésite à employer tant leur usage trop fréquent les a un peu vidés de leur sens. Pourtant, personne ne doutera que le choix d’un livre, pour un libraire, est le plus souvent difficile – on pourrait dire cornélien pour rester en littérature -. Mais parfois il y a des évidences, alors, sans réserve, on dira de ce livre qu’il est magnifique.
D’abord parce que son propos est intelligent, à la fois récit poétique (le cinquième) de la vie de l'écrivain, ce livre prenant place dans un cycle qui se nomme justement « la vie poétique », et chronique sociale de la seconde moitié du XXème siècle. Avec sensibilité, tendresse et beaucoup d’humour, l’écrivain dresse les portraits des clients qui passaient acheter leur journal au kiosque dans lequel il travaillait juste avant d’obtenir le prix Goncourt. Jean Rouaud nous dit combien ces gens ont compté, combien au fond il leur doit. Loin du lieu commun qui en ferait la matrice de personnages de romans, il les prend tels qu’ils sont, sans en faire des héros mais en montrant combien est précieuse la vie quotidienne, combien elle est poétique. Il suffit pour le voir de faire usage du style, et là, nous sommes servis par une langue vraiment somptueuse et simple à la fois. Ce sont deux caractéristiques de ses livres : les gens, et le style.
La plupart des livres de Rouaud sont, comme ça, des embrassades du quotidien et de l'extraordinaire de moments minuscules. C’est par ce prisme, qui est sans doute le nôtre à tous d’ailleurs, qu’il nous parle aussi de Paris, des changements de la ville, du roman ancien ou nouveau, de l’art contemporain qu’on aime ou pas. L’art et la littérature sont aussi au cœur de ses romans.
A sa façon très littéraire, il nous raconte que c’est notre manière de voir qui compte, celle de chacun et celle de tous. C’est son engagement : défendre la légitimité de ce que l’on pense beau, moche, juste ou injuste. Ce que les gens disent avec nos mots de tous les jours, il l’écrit avec la beauté et la clarté de la phrase du grand écrivain. Au fond, il défend avec panache le peuple des lecteurs, le peuple qui invente, sans scénario hollywoodien, sans artifice ni trucage, mais avec le talent des plus grands. Peut-être est-ce parce qu’il se met en scène lui-même dans ses romans, sans tricher non plus, laissant quand même l’écrivain prendre une – légère – distance pour pouvoir raconter.
Un texte exceptionnel.

Olivier L'hostis, pour Epik 3

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