Gilda F.

Conseillé par (Libraire)
29 août 2014

A tous ceux qui étaient tombés sous le charme de "La patience des buffles sous la pluie" du même auteur, ce nouveau recueil de récits courts, drôles, tendres et percutants, mais d'une grande douceur viendra comme d'heureuses retrouvailles. On est dans la même veine de ton, de rythme, d'inspiration, que pour les buffles sages. Aux nouveaux lecteurs, le petit délice de la découverte en prime.

On est tour à tour ému(e)s, amusé(e)s ou pris(e)s au dépourvu. Il existe un risque d'éclater de rire - lecteurs de transports en commun, vous voilà avertis -. Toutefois, si certains passages ne manquent pas d'ironie, elle n'est jamais cruelle. C'est le plus souvent d'ironie du sort, qu'il s'agit. Sur l'instant c'est l'humour que l'on ressent. Un peu après, ces textes brefs donnent à penser.

A la fin de lire j'étais pensive et légère, détachée de mes tracas par cet art qu'a l'auteur du pas de côté, de la tendresse taquine, du détachement élégant. Et très reconnaissante envers lui.

Conseillé par (Libraire)
27 août 2014

Il est question d'Henri, ou plutôt de deux Henri, un oncle trop tôt disparu, puis un frère, oui un frère, handicapé, fragile. De Buster Keaton aussi, enfant de la balle, qu'on balançait - son père, les soirs de spectacle, tant qu'il était assez petit, ça faisait rire, ça, l'enfant-projectile, au cabaret -. Leurs trajets, leurs trajectoires, si similaires, si différents. Difficile d'en dire plus sans en dire trop : c'est un roman qui prend par enchantement. En un seul mot : beau.

S'il se trouve qu'en plus on aime Buster Keaton et qu'on a vu et revu ses films, il y a là quelque chose de magique dans son évocation. Florence Seyvos nous le remet vivant.

Conseillé par (Libraire)
25 août 2014

Jasper Gwynn, romancier anglo-saxon déjà plutôt connu publie dans un journal un article dans lequel il annonce qu'il n'en écrira plus. Il s'embarque peu après dans la réalisation de portraits écrits de personnes volontaires. La condition étant pour eux de payer et de rester nus et qu'éventuellement l'affaire prenne du temps. L'artiste reste à observer, en théorie sans s'impliquer. Cette expérience l'entraînera plus loin que prévu et ne sera pas sans incidence sur l'existence de Rebecca, la jeune femme qu'il embauche pour l'assister après l'avoir sélectionnée comme élément d'essai.

Que penser de l'ouvrage ? Pour des raisons personnelles et d'avoir été moi aussi manipulée un jour par un romancier séducteur qui à l'instar de mister Gwyn n'arrivait plus à écrire, j'ai eu du mal avec le début ; un piège similaire se mettait en place pour la jeune femme.

Mais l'écriture est élégante comme toujours chez Alessandro Baricco, que ce soit en V.O. ou dans cette traduction de Lise Caillat, la narration délicatement menée, les notations psychologiques fines. Le roman n'est donc pas sans charme pour qui apprécie les livres "où il ne se passe (presque) rien".

Passé la moitié des pages, le personnage de Rebecca prend de l'ampleur et de l'épaisseur, et accorde au lecteur le plaisir de lire et en tout cas de l'intérêt. Par exemple dans la façon qu'elle a plus tard de comprendre à retardement certaines choses qu'elle a traversées sans avoir assez d'éléments sur le moment pour en percevoir toute la portée.

Au bout du compte même un brin bancal ou laissant une légère impression d'inachevé, c'est un livre qu'on peut apprécier.

extraits :

"Il aimait particulièrement écrire quand il était à la laverie, au milieu des tambours qui tournaient, au rythme des magazines feuilletés distraitement sur les jambes croisées des femmes qui ne semblaient cultiver d'autres illusions que la finesse de leurs chevilles." (p21)

"Le vieil homme eut peut-être les larmes aux yeux, mais on ne pouvait l'affirmer parce que les yeux des vieux pleurent toujours un peu". (p 179)

"Elle adopta donc durant plusieurs jours la seule attitude qui lui parut appropriée - l'attente. [...] Puis un matin, on lui livra au bureau un gros paquet, accompagné d'une lettre et d'un livre. Dans le paquet il y avait tous les portraits, chacun dans sa chemise. Dans la lettre, Jasper Gwyn précisait que c'était les copies qu'il avait faites pour lui [...] Il ajoutait une minutieuse liste de choses à faire. [...]

Conseillé par (Libraire)
25 août 2014

C'est l'histoire vraie d'un ancien marcheur, Engraciano Sainz (1), dont la France n'aura pas voulu et qu'un de ses descendants a reprise, dans une très belle évocation, un récit non linéaire qui laisse la part belle au lecteur.

Le travail du romancier n'en est pas moindre : il se présente ici comme le frère du sportif, un frère qui accédant au grand âge désire laisser une trace des exploits de son aîné sinon oublié.

Le jeune sportif était mort en pleine progression de ses capacités, atteint par une angine mal soignée alors qu'il effectuait son service militaire en Espagne. Son drame était d'avoir grandi en France, de s'être cru français mais d'avoir découvert en 1932 que le pays d'accueil de ses parents ne le considérait pas comme éligible à la sélection nationale. S'il souhaitait participer aux J-O il lui fallait passer par le pays d'origine de ses géniteurs, mais pour cela y effectuer un temps sous les drapeaux. Et qui lui fut fatal.

On le comprend dès les premières pages, l'absurdité de ce décès, de ces malheurs qu'on ne peut s'empêcher de croire rétrospectivement évitables, sans savoir si le cours logique des choses aurait au bout du compte été plus ou moins favorable. Dans cette ignorance que nous en avons tous, le frère âgé imagine pour son frère alors jeune le destin prévu, les J-O de Los Angeles, sa participation. Il lui adjoint une (belle) amoureuse, présence en filigrane, fraternelle attention.

Le tour de force de ce roman est là : nous sommes avec le coureur dans cette course qu'il n'a pas faite, mais fait quand même et tout en le sachant on y est. Par bribes également de délicates évocations d'enfance, d'autres courses, des parents courageux migrants. Le style est épuré, sans fioritures. Chaque partie qui regroupe plusieurs chapitres homogènes (le décès et après, la course imaginée, des courses effectuées ...) est précédé de quelques lignes sur la technique si particulière de la marche athlétique. C'est un petit livre fragile et discret, de ces pépites qu'on se partage entre initiés et qu'on est si heureux d'avoir lu après.

Il n'est pas nécessaire d'aimer le sport pour l'apprécier. Mais il peut constituer une jolie idée de cadeau pour quelqu'un qui aime la marche athlétique ou la course à pied

(1) cf. article "Marathon sang et or" Jean-Claude Perrier, Figaro Livres 15/05/08

"Décembre 1932

Nous ne pleurons pas. "A quoi bon ?", dirait la mère. Alors, je retiens mes larmes. Nous ne nous regardons même pas.
Il neige sur le cimetière de Burgos. Les flocons brillent sur le manteau noir de la mère.
Je n'invente pas cette corruption soudaine dans la tristesse. Le ciel est tendu, raide, pendant que nous nous tenons au garde-à-vous autour d'une pierre tombale plate et blanche, fraîche comme un banc de sable trop visible.
Je n'imagine rien." (p 11)

21,50
Conseillé par (Libraire)
19 août 2014

"Les lisières" marquaient la fin d'un cycle, la boucle était bouclée, le personnage principal revenait sur ses lieux de jeunesse et mesurait à la fois l'étendue du désastre et le chemin parcouru.

"Peine perdue" tourne la page. On change de géographie, c'est le sud-est de la France et non plus l'Ouest et ses grands vents, le Japon, ou de façon souvent prégnante chez Olivier Adam, la banlieue parisienne.

Mais les difficultés restent les mêmes pour qui n'est pas né nanti. Et dans les bons romans comme dans l'existence, dans ces cas-là on fait ce qu'on peut. Le sport semble une rédemption, mais porte ses limites. Et dans "Peine perdue" sera source de tragédie puisque c'est autour d'un règlement de comptes d'après match que le drame principal se nouera et se dénouera.

Le foot, et une tempête. Parce qu'il ne faut jamais oublier que si l'on n'est à la merci ni de nos propres failles, ni des actes des autres, on ne l'est surtout pas de la force des éléments.

Ce roman déplaira à ceux qui estiment qu'on est maître de sa vie et réconfortera ceux et surtout celles qui savent qu'on fait au mieux de ce qui nous échoit, et que parfois faire au mieux, on n'y parvient même pas.

C'est le cas d'Antoine, le seul personnage de ce roman archi-choral (1) qui intervient deux fois, au premier chapitre et au dernier. Malgré l'amour pour la mère de son fiston, malgré toute l'affection qu'il a pour l'enfant, ne réussit pas à faire face, quelque chose rate toujours. Et quand ça ne vient pas de lui, ce sont les autres qui provoquent l'une ou l'autre catastrophe de sa vie.

Les femmes s'en sortent moins mal, mais subissent davantage. Reste l'entraide, de belles rencontres malgré tout, assez peu de malfaisants notoires fors un vague politico-mafieux local, lequel se tient en haute estime et se comporte comme un sale type, avec le sentiment d'être un gagnant. Il est effectivement le seul qui a une latitude d'action, d'où il en est de pouvoir et d'argent ; influent au niveau local, impuissant au delà. Seulement il l'utilise pour son seul intérêt, ce qui le conduit à nuire.

L'intrigue fait la part belle aux apparences trompeuses.

La structure du roman est d'une belle horlogerie, l'histoire, dont la tension narrative est digne d'un bon policier, est relatée de façon linéaire mais ce sont les points de vue qui sont éclatés. Chacun prend la parole à l'instant où il se trouve mêlé à ce qui survient. L'ensemble est si bien maîtrisé qu'à première lecture on ne s'aperçoit de rien. Et l'on se trouve embarqué dans une succession de fondus-enchaînés qui nous laissent avec le seul regret de ne pouvoir prolonger la présence de certains des humains que l'on côtoie ainsi. On aimerait revoir la mère du petit Nino, aussi la soeur d'Antoine, boire un coup et parler foot avec cet entraîneur, Eric, qui nous rappelle si fort ce Laurent qu'on connaît.

Comme toujours chez Olivier Adam on est au plus près de l'existence, du présent, le chômage reste proche, ombre portée même s'il n'est pas fatalité.

Le style reste épuré, sans gras. Amateurs de lyrisme et de grandes sagas passez votre chemin. Ici, c'est la vie, entre gris clair et gris foncé, celle d'un peu tout le monde. Et c'est si bien écrit que ça aide à tenir, un pas de plus, un peu.

(1) Il comprend 23 chapitres tous vu par un narrateur différent, ou plusieurs puisqu'une fois c'est l'équipe (de foot) qui à titre collectif voit son point de vue exprimé, équipe dans laquelle Antoine brillait et où un jeune Tony, qui cache à ses coéquipiers qu'il lit, compte le remplacer.